Recherche
Chroniques
Новый Вавилон | La nouvelle Babylone
film de Leonid Trauberg et Grigori Kozintsev – musique de Dmitri Chostakovitch
Proposée en partenariat avec la Sacem et dédiée à Christian Maire, récemment disparu, qui avait habillé de notes certains films d’animation de Michel Ocelot (Princes et princesses, Les contes de la nuit, etc.), cette soirée célèbre intensément le lien entre musique et cinéma. Marie-Jeanne Séréro a les honneurs de la première partie, entendue dans certaines pièces russes mises en scène par Alain Françon (La cerisaie, Oncle Vania, Trois sœurs) avant d’être demandée par le cinéma, notamment depuis Anton Tchékhov 1890 (2015) de René Féret – 1890, année de séjour sur l’île-bagne de Sakhaline, « un lieu de souffrances intolérables comme seul l’homme peut en supporter », confie l’écrivain au journaliste Alexeï Souvorine. Ayant reçu l’an passé le Prix Radio France - Sacem, la créatrice confie aujourd’hui la création d’une œuvre à l’Orchestre Philharmonique de Radio France en petite formation : Tourgueniev 1850.
De l’auteur d’Un mois à la campagne, Marie-Jeanne Séréro apprécie la simplicité et l’harmonie sans emphase qui lui inspire une carte blanche voulue compréhensible et sans prétention. En plusieurs mouvements, sa pièce joue avec les codes romantiques russes (cordes lyriques, vents volubiles, arpèges pianistiques), bousculés par endroits (l’inquiétant grincement de gong sous l’archer). Particulièrement sensible dans les afféteries sentimentales, on sent l’habitude d’un art soumis à un autre, celui de donner du relief en un temps réduit. Bref, c’est efficace mais assez formaté.
L’entracte est l’occasion de présenter au public Anne Dudley, pilier du groupe pop Art of noise et compositrice pour le cinéma depuis trois décennies – parmi ses faits de gloire, citons un Oscar pour The full Monty (1997), la comédie sociale de Peter Cattaneo, et les deux derniers films de Peter Verhoeven, Black Book (2006) et Elle (2016). Lauréate du Prix 2017 qui, à son tour, dévoilera sa partition l’an prochain, la Britannique exalte la musique qui rapproche les êtres… à l’inverse des politiciens.
Parmi les membres fondateurs du collectif Fabrique de l’acteur excentrique, Grigori Kozintsev (1905-1973) et Leonid Trauberg (1902-1990) livrent en duo de nombreux longs métrages, depuis Les aventures d'Octobrine (Похождения Октябрины, 1924) jusqu’à Des gens ordinaires (Простые люди, 1945). Le plus célèbre est La nouvelle Babylone (Новый Вавилон, 1929), inspiré par Zola et Marx. Il conte des épisodes de la Commune de Paris (mars-mai 1871), sursaut républicain à l’issue fatale. Une fois de plus s’y déchire une palette de Russes des année vingt (ouvrier-esclave, bourgeois indécent, naïf manipulé, etc.) qu’a récemment remis en avant le cycle Octobre 1917 de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé [lire nos chroniques des 11 et 18 octobre 2017]. Malheureusement, baigné dans une ambiance à la Toulouse-Lautrec, cette vedette du ciné-concert lasse vite par nombre de redondances visuelles, voire narratives [lire notre chronique du 6 décembre 2005].
Avec son expérience d’accompagnateur au cinéma Barrikada (Léningrad), le jeune Dmitri Chostakovitch (1906-1975) est armé pour imaginer une bande-son d’une heure et demie. Cordes luxuriantes, clarinette joviale et vaillante trompette disent la frénésie du commerce florissant, celle du cabaret réservé aux riches. Mais la Prusse est aux portes de Paris, un hautbois sinistre signe l’annonce d’une capitulation. Pétrie de plus d’une référence française, Marseillaise et Carmagnole en tête, goguenarde ou militaire, la musique alerte offre quelques moments plus intimes avec un violon quasi solo pendant la séparation de Louise et Jean, ou un piano qui peint la souffrance de la guerre civile, entre deux assauts. À l’aise avec ces différents climats, le chef Timothy Brock confirme sa réputation de spécialiste du ciné-concert.
LB